Podcast Gem Pursuit avec Matthew Weldon
La vie de Suzanne Belperron se lit vraiment comme un film hollywoodien avec des amours secrètes, la guerre, le scandale, l'intrigue, le mystère et l'héroïsme à profusion !
Après un arrêt très rapide devant une vitrine (typique), nous nous rendons à la rencontre d'Olivier Baroin, qui est l'expert mondial de l'œuvre de Suzanne Belperron, sans exception. Olivier nous parle longuement de son amour pour le travail de Belperron, de la façon dont il peut identifier ses pièces (fameusement non signées) et de la découverte de ses archives en 2008.
Il nous raconte également des histoires incroyables sur la légende de la joaillerie qu'est Suzanne Belperron.
Voici le lien de notre podcast : https://open.spotify.com/episode/0Kfc0DZtmOy4Kd2GktMA2W
Trouvez ci-dessus quelques questions présentes dans l'interview :
Comment votre parcours pour devenir spécialiste de Suzanne Belperron a-t-il commencé ?
Je suis rentré très jeune dans le métier puisque j’ai passé le concours pour intégrer la Haute école de joaillerie à Paris rue du Louvre en 1983 et j’en suis ressorti avec mon diplôme de Bijoutier joaillier en 1987 à l’âge de 18 ans.
J’ai d’abord travaillé dans des ateliers comme Pery, Je suis ensuite rentré chez un grand bijoutier détaillant chez lequel j’ai créé un atelier de fabrication. A 24 ans je gérais les achats, les commandes, la fabrication, le personnel. A 30 ans je me suis installé dans le 16e arrondissement de Paris pour travailler exclusivement pour une clientèle de particuliers fortunés, je dessinais les modèles que je réalisais de mes mains dans mon atelier sur commande uniquement . Parallèlement je faisais du négoce d’objets d’art et d’antiquités en étant très spécialisé dans les bijoux anciens ce qui m’a permis de me familiariser avec la restauration de pièces anciennes.
À l’occasion d’une commande j’ai rencontré un client dont le père venait d’hériter d’une dessinatrice de bijoux. A 40 ans j’achetais les archives et les effets personnels de Suzanne Belperron, ainsi que son mobilier, puis, j’ai préparé la première monographie sur la créatrice avec Sylvie Raulet. Mandaté par l’héritier de la créatrice pour pérenniser son œuvre expertiser ses bijoux j’ai fini par ne me consacrer qu'à son travail …
Si vous deviez décrire qui est Suzanne Belperron à quelqu'un qui n'a jamais entendu parler d'elle avant que diriez-vous ?
C’est amusant que vous me posiez cette question car en effet Suzanne Belperron n’est pas toujours connue du grand public. Pour la définir je reprendrais le propos de monsieur Lagerfeld qui disait d’elle : « Elle est la seule créatrice de bijoux digne de ce qualificatif ».
On pourrait également dire que Suzanne Belperron est à la joaillerie ce que Gabrielle Chanel est à la couture, l’une et l’autre ont révolutionné le monde à leur manière de par leur style. Si l’on situe les choses dans leur contexte Suzanne Belperron est la femme qui a imaginé le bijou moderne pour des femmes modernes. Comme titrait le New York Times en décembre 2012 : « Modern before the world was », j’aime aussi dire qu’elle a été le joaillier fantaisie des milliardaires mais elle était avant tout une artiste !

Qu'est-ce qui distingue vraiment Suzanne Belperron de ses pairs ?
Tout la distingue de ses pairs même si on peut parfois lui trouver des affinités avec les modernistes de l'époque comme Mr Fouquet ou Templier ou d'autres, mais toutes ces pièces imaginées par des hommes sont plus masculines et plus abruptes.
A travers les bijoux de Suzanne Belperron qui ne répondent à aucun code ou tendance autre que son propre style, on sent sa féminité, sa douceur, ses courbes, sa sensualité et les femmes se reconnaissent dans cette sensualité. Aujourd'hui une pièce de Madame Belperron est reconnaissable entre mille, elle était la seule dans son domaine à l’époque a pouvoir dire mon style est ma signature.
L'expression qui est utilisée maintes et maintes fois concernant Belperron est "mon style est ma signature". Pouvez-vous décrire quel est son style par excellence ?
Son style c’est son ADN, chacun a son propre ADN, le style de Suzanne Belperron c’est un bijou volumineux, voluptueux, moderne, sensuel, charnel, atypique.
C’est un bijou qui interpelle, l’œil se pose sur la beauté des formes, l’alchimie des couleurs, la combinaison de matériaux qui ne sont pas forcément précieux mais chatoyants. Le bijou de Belperron reflète un caractère, une élégance et une distinction sans nulle autre pareille. C’est un objet d’art qui va bien au-delà des codes de la joaillerie d’antan ils n'ont pas vocation à exhiber un niveau social mais à l'inverse une forme d'ouverture d'esprit une façon de penser une approche aussi artistique qu'intellectuelle de la joaillerie.
Ses bijoux ne sont pas imaginés pour « s'exhiber » mais pour être portés par des propriétaires raffinés juste pour le plaisir de porter quelque chose de différent d'apparence moderniste.
Que recherchez-vous lors de l'évaluation d'un futur morceau de Belperron ?
Il y a plusieurs critères pour évaluer un bijou de Suzanne Belperron. La créativité bien évidemment, la date à laquelle il a été produit, l’aspect plus ou moins unique du modèle, le plaisir qu’il procure dès lors vous ouvrez l'écrin. Il arrive aussi parfois que je tienne compte de la valeur des pierres.
Certains bijoux sont en effet plus créatifs que d’autres car Madame Belperron a eu comme tous les Joaillier ses « Best of ». Je pense à quelques modèles de broche ou de bague que l’on retrouve plus souvent, si un modèle a été beaucoup produit il est moins attrayant.
Plus le bijou est ancien, plus il est « hors du temps » et plus il est recherché. Certaines pièces sont issues de dessins littéralement uniques alors que d’autres sont des déclinaisons, les pièces inédites produites à l’unité pour des clients très prestigieux peuvent atteindre des prix astronomiques.
Enfin il y a cette émotion que l’on ressent dès lors qu' on découvre le bijou, dès lors qu’on ouvre l’écrin parfois c’est l’extase : « Waouh ! ». Comment a-t-elle pu imaginer un bijou aussi captivant ? Quand bien même les matières premières ne sont pas si précieuses, c’est tellement beau.
Bien souvent la valeur des pierres et du métal correspondent à un tarif sans grandes conséquences bien qu’il soit arrivé à Suzanne Belperron de monter des pierres littéralement superbes à la demande de clients fortunés. Mais vous l’aurez compris la valeur se calcule en fonction de l’ancienneté, de la créativité et de l’émotion éprouvée à l’ouverture de l’écrin.
Quelle est la différence entre un artiste, un créateur de bijoux et un créateur réalisateur? Et où tombe Suzanne Belperron ?
A travers certaine recherches au fil du temps alors que je me penchais sur un autre ouvrage, j’ai pu comprendre qu’il y avait plusieurs catégories de personnes dans ce domaine : les dessinateurs ; les créateurs de bijoux et les « artistes ».
Le dessinateur de Bijoux est une personne qui exécute un dessin. Certaines maisons dont l’ADN est très fort ont besoin de bons dessinateurs pour transposer un style adapté à différents projets commerciaux . D’autres maisons qui détiennent de très belles pierres ont besoin d’un designer pour dessiner un bijou autour d’une pierre ou d’un lot de pierres en fonction des éléments qui lui sont imposés. Dès lors il s’agit d’un ou d’une artiste comme Suzanne Belperron, c’est son propre ADN qui va s’illustrer sur le papier. L’artiste ferme les yeux et c’est son imaginaire qui va guider ses pinceaux sans avoir la moindre contrainte.
Vous remarquerez que la plupart des créations de Suzanne Belperron sortent « de nulle part ». Il ne lui est pas forcément nécessaire de prendre un sujet figuratif pour le transposer et imaginer l’harmonie des formes, l’alchimie des couleurs, certains créateurs sont dotés d’un don inné dans la composition artistique … de ceux-là on pourra dire que « leur style est leur signature ».
Croyez-vous qu'il existe un designer vivant aujourd'hui qui a un style similaire ?
Si je devais comparer son œuvre à celle d’un designer aujourd’hui sans hésiter une seconde je dirais JAR.
Suzanne Belperron était connue à son époque comme une beauté élégante et discrète, pensez-vous que cela a eu un impact sur son succès ?
Madame Belperron était une femme de poigne respectable et respectée, une femme d’honneur, droite, loyale et honnête. Quand bien même, c’était une jolie femme dont le regard vert persan a marqué les esprits puisque certains en parlent encore aujourd’hui.
Il est clair que certains étaient sensibles à son charme mais c’est sa hauteur d’esprit qui en a fait une grande dame. Comme je me dis pour clore le dernier chapitre de mon livre : « … à la seule force de son talent inouï, Suzanne Belperron s’est affranchie de sa condition modeste pour entrer dans le cercle des femmes les plus parisiennes, les plus modernes et les plus éclairées. Elle est devenue une véritable femme du monde et une figure emblematique de son époque. Suzanne Belperron a su s’imposer, et son œuvre singulière est entrée brillamment dans l’Histoire du bijou… ».
On dit parfois dans le monde de la joaillerie que Boivin est réputé en Europe et Belperron est réputé aux États-Unis, selon vous est-ce le cas et si oui pourquoi ?
Je pense que la maison Boivin est réputée dans le monde entier et que la Maison Boivin n’est pas vraiment comparable à Suzanne Belperron. Boivin est un joaillier de grande envergure lequel a compté plusieurs dessinatrices et créatrices! Suzanne Belperron quant à elle est une artiste et quand bien même elle n’y est restée que 13 ans, elle a laissé son ADN chez Boivin, je pense que la force et la puissance de ses créations sont restées tant inégalables qu’inégalées.
Dans mes pensées René Boivin est un grand joaillier alors que Suzanne Belperron est une grande artiste ! Et si les bijoux de René Boivin sont aussi artistiques aujourd’hui c’est bien parce que Madame Belperron et d’autres créatrices y ont laissé une forte empreinte, insufflée par Madame Jeanne Boivin. Les Américains sont peut-être aussi attachés à la personne qu'à son œuvre et c’est dans l’air du temps , vous remarquerez que désormais on dit Cartier par Aldo Cipullo, Tiffany par Elsa Peretti ou Dior par Victoire de Castellane…
Si vous deviez aujourd'hui conseiller quelqu'un qui souhaite se lancer dans une collection de Belperron, quel conseil lui donneriez-vous ?
Je lui conseillerais d’acheter des pièces iconiques, très fortes, très puissantes, très typées en termes de création. Des pièces plutôt colorées mettant en scène des matières comme l’agate blonde, la calcédoine, le quartz fumé, le cristal de roche. Mais lui dirais surtout d’acheter en fonction de son ressenti au moment de la découverte de la pièce. On achète du Belperron comme on achète une œuvre d’art et un bijoux de Suzanne Belperron c’est avant tout beaucoup d’émotion.