Suzanne Belperron, une créatrice d’exception : entretien exclusif avec Olivier Baroin
Publié initialement sur The Heirloom Curator, cet échange entre la créatrice Trang Do et l’expert Olivier Baroin met en lumière la personnalité fascinante de Suzanne Belperron, figure emblématique de la haute joaillerie du XXᵉ siècle.

À travers ce dialogue rare, Olivier Baroin revient sur le génie d’une femme libre, visionnaire, et sur la puissance intemporelle d’un style reconnaissable entre tous.
« Mon style est ma signature » : l’affirmation d’une liberté absolue
Suzanne Belperron résumait toute sa philosophie en une phrase devenue célèbre : « Mon style est ma signature. »
Pour Olivier Baroin, cette déclaration dit tout de son indépendance d’esprit :
« Elle se distinguait de ses contemporains, presque tous des hommes. Son style combinait féminité, sensualité et une compréhension rare de ce qu’une femme aime réellement porter. »
À une époque où la joaillerie se devait d’être démonstrative, Suzanne Belperron préfère la justesse du geste à l’ostentation. Son travail s’éloigne des codes classiques de Cartier ou Van Cleef & Arpels pour affirmer une vision profondément artistique.
Une artiste avant tout
Pour Olivier Baroin, comprendre Suzanne Belperron suppose d’abord de comprendre l’art dans son essence.
« Il faut apprendre à voir la beauté à travers les proportions. »
Formée aux Beaux-Arts, la créatrice possédait une conscience instinctive de l’équilibre, de la ligne et du volume. Ses bijoux, véritables sculptures miniatures, obéissent aux lois de la mesure et de la pureté formelle, alliant rigueur du dessin et sensualité des formes.
« À son époque, on ne parlait pas encore de marques comme aujourd’hui », explique Olivier Baroin. « Ce qui comptait, c’était la relation entre l’artiste et le collectionneur. Chez Belperron, chaque bijou était une œuvre d’art.
Ses créations ne cherchaient pas la perfection technique, mais l’expression d’une harmonie plastique, d’un équilibre intérieur. La justesse des proportions, l’harmonie des masses et le dialogue entre pleins et vides étaient, pour elle, aussi essentiels que l’éclat des pierres.
Ce sens aigu de la composition conférait à ses œuvres une beauté architecturale et un raffinement esthétique unique.
« Son style était déjà une signature à part entière. Une signature gravée aurait presque été vulgaire sur l’un de ses bijoux. »
Comme un tableau de Matisse ou un portrait de Modigliani, une pièce Belperron se reconnaît au premier regard, par la justesse de sa forme et la force tranquille de sa ligne.
Les secrets d’un style inimitable
Interrogé sur les éléments qui permettent d’identifier une pièce Belperron, Olivier Baroin souligne :
« D’un point de vue esthétique, il suffit d’observer les formes, les matières, les compositions et la palette de couleurs. »
Son utilisation des pierres est révolutionnaire. Loin de se limiter aux diamants ou rubis, elle ose les quartz, agates, citrines, calcédoines, améthystes ou encore topazes blondes — pierres dites “modestes” qu’elle transcende par le design.
Chez elle, la matière devient langage : les volumes sont pleins, les lignes sensuelles, les contrastes saisissants.
Cette maîtrise des proportions, héritée de sa formation aux Beaux-Arts, traduisait une conception plastique du bijou, pensée comme une œuvre d’art à part entière, où la rigueur du dessin rejoignait la liberté de l’inspiration.
Son bijou n’est pas un ornement, mais une sculpture que l’on porte.
Des bijoux sans signature, mais immédiatement reconnaissables
L’un des aspects les plus singuliers de son œuvre réside dans son refus de signer ses créations.
« Elle n’en voyait pas la nécessité », précise Olivier Baroin. « Son style suffisait à lui seul. »
Ce parti pris radical s’inscrit à contre-courant d’un monde déjà tourné vers la marque et la reconnaissance du nom.
Cette absence de signature a d’ailleurs renforcé la légende : seuls les connaisseurs savent reconnaître, au premier coup d’œil, une pièce de Suzanne Belperron.
L’héritage d’une créatrice visionnaire
À la question de savoir quels bijoux Belperron sont les plus rares, Olivier Baroin reste prudent :
« Il m’est impossible de répondre. Cela fait dix-sept ans que je travaille à partir de ses archives, et chaque année, de nouvelles pièces apparaissent. Ce que nous connaissons aujourd’hui n’est que la partie émergée de l’iceberg. »
Il insiste sur le fait que Belperron ne se laissait jamais influencer, même par ses clientes les plus célèbres comme Elsa Schiaparelli ou la duchesse de Windsor.
« Elle créait pour elles, mais à sa manière. Elle écoutait, observait, puis imaginait un bijou fidèle à leur personnalité sans jamais se trahir. »
Cette intégrité, alliée à une créativité sans limite, explique pourquoi son œuvre reste aussi actuelle.
Suzanne Belperron et Coco Chanel : deux femmes, une même révolution
Olivier Baroin aime citer Karl Lagerfeld, grand collectionneur de ses bijoux :
« Suzanne Belperron était à la joaillerie ce que Coco Chanel était à la couture. »
Comme Chanel, elle a bousculé les conventions de son temps, imposé une esthétique fondée sur la liberté et l’équilibre, et ouvert la voie à une génération de créatrices indépendantes.
Une modernité intemporelle
« Son style est intemporel, conclut Olivier Baroin. Si elle vivait aujourd’hui, elle créerait exactement les mêmes bijoux. »
Ses bijoux continuent d’inspirer collectionneurs et créateurs contemporains, véritables sculptures portables où l’art et la matière dialoguent dans une harmonie intemporelle.